x Par-delà la mer...

Les yeux rivés sur l’étendue houleuse de la mer, je ne parvenais à oublier... Je ne sais depuis combien de temps je n’avais plus dormi... Une semaine peut-être. Je ne suis plus guère très vaillant mais dés que je ferme les yeux, des images atroces m’assaillent. Une créature du diable, sanguinaire attaquant mon train... Une erreur de la nature m’enlevant celle que j’aime. Et moi, misérable humain, je n’ai su que faire, si ce n’est me cacher pour sauver ma pauvre vie. Mais à quoi bon vivre encore ? Et quand je dis humain... Je ne suis pas mieux que ces créatures buveuses de sang. Je suis un monstre. Là encore, mes mains tremblent d’émotion, qui ressemble à un mélange de colère et de tristesse. Je sais que dans mes veines coule le sang d’un meurtrier. Avec un peu de malchance, la colère prendra le dessus et je redeviendrai ce que je déteste par-dessus tout. Un loup aussi noir que les ténèbres...

Sous mes yeux vides s’écrasent encore et toujours les vagues. Je rêve de pouvoir quitter cette île, de retrouver ma vie d’antan. Je soupir et me relève. La terre tourne sous mes pieds, je vacille. Il serait temps que je parvienne à dormir, mais je n’en vois guère l’intérêt. Vivre alors qu’elle est morte... Son image me revient à l’esprit et un gouffre s’ouvre brutalement dans ma poitrine. La douleur est telle que je me mets à courir pour la fuir, et en moins de deux, je devins loup. Mes puissantes pattes me propulsent en silence à travers la plage. Le vent dans mes poils me fait un bien fou, et j’ai honte. Honte d’apprécier cette apparence de monstre... Mais qu’importe, je cours comme si ma vie en dépendait, croisant parfois quelques humains qui me regardent avec frayeur. Ils ne comprennent pas, croient que je suis un animal sauvage. Qu’ils n’aient crainte, je ne leur veux rien. D’ailleurs je vengerai leur famille et leurs amis des sangs froids...

Il fait sombre à présent, la nuit tombe doucement. A l’ombre d’un arbre, je m’apaise et reprends forme humaine. Pas loin, le son de la mer me berce. J’ai le temps reprendre des vieux vêtements et de me changer, avant de sentir la fatigue m’assommer.

U

M

J

Je crus avoir enfin réussi à tomber dans un sommeil de plomb. Ton ‘ Je t’aime’ me parvint et l’espace d’un instant, j’ai l’impression qu’il est le sien. Qu’enfin nous nous sommes retrouvés, ou alors qu’on ne s’est jamais perdus. Mais ton odeur est si différente à la sienne, et me ramène malgré moi à la réalité. J’ai compris que ces quelques mots étaient les tiens, et j’ouvre les yeux. Par un regain de curiosité peut-être. Mon regard tombe sur ta silhouette, et je ne comprends pas. Tu n’es ni loup, ni vampire, alors que fais-tu ? L’eau est glaciale, elle va te tuer en moins de cinq minutes. Dans un sursaut je me redresse, enlève le vieux le pull que je venais d’enfiler, et je sais qu’une seconde d’hésitation est déjà une de trop. Je ne peux te laisser faire cela, même par désespoir. Je cours vers toi et pénètre dans l’eau. La morsure du froid ne m’atteint qu’à peine, je ne ressens presque rien. Un autre avantage peut-être, et je réprime une grimace de dégoût. Bientôt tu disparais sous la surface de l’eau et mon cœur manque un battement. Je ne peux pas te laisser, parce que j’ai déjà manqué une fois à mon devoir. Une fois de plus m’achèverait.

Je plongeai et ne pensai plus à rien. Il ne me fallut que quelques secondes pour te saisir le bras et te ramener vers la surface. Je te pris fermement dans mes bras et te ramenai loin de cette eau meurtrière. Mais tu ne bougeais plus, et je compris qu’une fois encore j’avais été misérable. Incapable de faire quoi que ce soit de bon. Je te posai sur mon pull encore emprunt de ma chaleur et hésitai. Agenouillé devant toi, j’attends bêtement. Que faire maintenant ? Je posai mes deux mains l’une sur l’autre sur ta poitrine et appuyai en rythme. Mon corps entier tremblait de fébrilité, j’avais si peur d’échouer.

- Respire, s’il te plait, respire...

A ta place, je revois celle que j’aimais et cette vision m’est intolérable. Je baisse les armes, m’avoue vaincu. Dans un geste de désespoir je pose ma tête dans ton cou, persuadé que tu m’as quitté...

J

Ton corps froid et vide de vie me fait face. Pendant une seconde, je pense à faire comme toi, et à me jeter dans les eaux troubles et glaciales de la mer. Cependant je sais qu’elles ne m’auront pas. Parce que je suis conçu pour résister à la plupart des abominations qui auraient raison des humains. Déjà, je suis sec et j’aurais été prêt à te prendre dans mes bras pour te transmettre ma chaleur. Mais tu n’es plus. Partie là où je ne pourrais jamais te suivre. Partie là où elle se trouve.

Je m’écarte de toi, les yeux clos et je sens que je vais tomber dans un état second. Cela n’arrive que rarement. Dans ces moments là, je ne suis pas loup. Je suis autre chose. Je suis un animal fier et sauvage. Mes longs membres me portent à travers monts et vallées. Mes crins flottent au vent et battent ma puissance encolure. Ma robe est grise acier, contrastant avec un regard noir. Mais je ne le permettrai pas. Je veux pouvoir oublier tout ce qui fait de moi autre chose qu’un être humain.

Soudain, alors que je m’apprête à te laisser, tu ouvres les yeux, et prends une grande bouffée d’air. Mon cœur s’emballe et j’ai envie de sourire, de rire, de te serrer dans mes bras. Mais je ne fais rien, je reste ébahi parce que tu es en vie. Parce qu’au fond, je n’ai pas été si nul que ça, cette fois-ci. Mais soudainement tu trembles et je me dis que si ce n’est pas l’eau qui a eut raison de toi, alors ce sera le froid. Je m’approche de toi et là tout m’échappe. Tu te transformes, si tel est le mot. Tu deviens un félin magnifique. Je recule, et toi tu avances. Ta langue rappeuse touche ma joue et je grimace légèrement. Je ne sais trop ce qui te passe. Je ne réagis pas, je te regarde bêtement.

Et là encore la situation m’échappe. Je n’eus même pas le temps de comprendre que toi, humaine, tu étais devenue puma, que déjà tu redevenais humaine. La même que tout à l’heure, avec des cheveux roux et une robe noire. Mais tellement plus belle avec de la vie au fond des yeux. Tu souris, mais c’est un sourire étrange. Je me relève, comprenant que maintenant tu ne risquais plus rien. Mon regard se plonge dans le tien, et je cherche à comprendre. Comprendre pourquoi tu souris alors que je t’ai empêchée de faire ce que tu avais envisagé.

- Tu es folle. Il y a cinq minutes tu voulais te noyer et maintenant tu souris. C’est quoi ton problème ?

C’était plus fort que moi. Je n’ai jamais été doué pour parler, pire, j’ai toujours été plus que désagréable.

- Laisse tomber, au fond je m’en fiche.

J’arrachai le pull trempé sur lequel elle avait reposé pendant quelques instants.

A

M